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Vers la liberté d’établissement des sièges des sociétés sportives

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La Ligue de Football Professionnel (LFP) a modifié ses règlements le 21 mars dernier en imposant désormais aux clubs souhaitant participer aux compétitions organisées par elle d’avoir leur siège social en France, et ce à partir de juin 2014.

La Ligue justifie l’adoption de ce texte par une nécessaire équité entre les différents concurrents des championnats de France.

A l’instar de l’affaire « Bosman » (CJCE du 15 décembre 1995), ce nouveau règlement de la Ligue semble devoir être confronté à l’application du droit communautaire.

Le droit communautaire pose en effet le principe de la liberté d’établissement des sièges sociaux (I). Pour autant, il existe une exception sportive qui pourrait écarter l’application du droit communautaire (II).

I/ La liberté d’établissement, obstacle potentiel au règlement de la Ligue.

Les articles 49 et 54 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) posent comme principe la liberté d’établissement des personnes physiques et morales au sein de l’Union.

De plus, l’article 8 du règlement communautaire n°2157/2001 dispose que le siège statutaire d’une société d’un état membre peut être transféré dans un autre état membre sans que ce transfert ne donne lieu ni à la dissolution ni à la création d’une personne morale nouvelle.

Plusieurs décisions sont venues définir la portée de la liberté d’établissement. L’arrêt Centros rendu le 9 mars 1999 par la CJCE autorise le fait, pour un ressortissant d’un État membre qui souhaite créer une société, de choisir de la constituer dans l’État membre dont les règles de droit lui paraissent les moins contraignantes et de créer ensuite des succursales dans d’autres États membres Cette pratique est inhérente à l’exercice, dans un marché unique, de la liberté d’établissement garantie par l’article 48 du Traité de Rome (article 54 TFUE).

Ce principe a été confirmé par un arrêt rendu le 12 juillet 2012 par la CJCE (affaire C-378/10), dans lequel la cour autorise le fait pour toute société d’un état membre de se transformer en société d’un autre état membre. Par conséquent, elle autorise le transfert de siège social et donc le changement de loi applicable.

De plus, les juridictions communautaires ont également édicté un principe d’interdiction de l’imposition immédiate des plus-values latentes en cas de transfert de siège social. C’est l’arrêt National Grid Indus BV, rendu le 29 novembre 2011 par la CJUE, qui a posé ce principe. La Cour le justifie par la différence de traitement qui existait entre une société transférant son siège social dans un état membre de la communauté ou bien dans un état qui n’en faisait pas partie.

Ce principe a depuis été confirmé par deux arrêts rendus le 6 septembre 2012 (affaire C-38/11 et affaire C-380/11 Diego della Valle).

Le règlement de la Ligue semble donc en contradiction avec les principes découlant de la liberté d’établissement au sens du T.F.U.E. Il y a donc conflit entre le droit européen et le droit du sport.

Se pose donc la même question qu’à l’occasion de l’arrêt Bosman : la spécificité sportive peut-elle l’emporter sur le droit communautaire ?

II/ L’exception sportive, limite potentielle à la liberté d’établissement.

Il existe une exception sportive en droit national, comme en droit communautaire.

En droit français, dans les affaires « Girondins de Bordeaux » (CE du 15 mai 1991) et « Chamois-Niortais » (CE du 13 novembre 1991), le Conseil d’Etat a reconnu que l’exception sportive pour justifier l’atténuation des règles d’ordre public française.

En droit communautaire, la Cour de Justice  préfère écarter l’application du droit communautaire en considérant que la règle sportive poursuit des intérêts non économiques. Ce fut le cas dans l’affaire « Lehtonen » (C.J.C.E. du 13 avril 2000), mais également dans l’affaire « Bosman » au sujet des clauses de nationalité dans les équipes nationales. En effet, la C.J.C.E., dans l’affaire « Bosman », n’a annulé que les clauses de nationalité dans les clubs alors que la question de leur légalité était également posée pour les équipes nationales (CJCE, 15 décembre 1995).

Dans toutes ces affaires, l’exception sportive a été retenue parce que les objectifs e stabilité des équipes et de régularité des compétitions poursuivis par les autorités sportives étaient considérés comme légitimes. C’est le cas, notamment, lorsque l’institution sportive cherche à protéger l’éthique du sport.

Dans ces affaires, même si la règle sportive a des incidences économique, l’application du droit communautaire sera écartée par ce que l’objectif poursuivi est indispensable à la survie de la compétition.

Dans l’affaire dite « de Monaco », la Ligue de football professionnel justifie son nouveau règlement par l’égalité et l’équité entre les différents participants.

En effet, selon la Ligue, une société sportive qui aurait son siège dans un autre Etat pourrait bénéficier de conditions fiscales plus avantageuses que celles de ses concurrents la plaçant ainsi dans une situation de concurrence dite « déloyale ».

L’objectif poursuivi est donc l’égalité et l’équité économique entre les clubs participants aux compétitions organisées par la Ligue.

Dans ces conditions il semble peu probable que le règlement de la Ligue puisse constituer une exception sportive au sens de la jurisprudence française et communautaire.

Il convient de rappeler que dans les affaires « Bunoz » (C.E. du 23 juin 1989) et « Bosman » les autorités sportives avaient tenté de justifier les clauses de nationalité par un souci d’équité et d’égalité entre les clubs compétiteurs.

Cet argument avait été rejeté par les juridictions compétentes.

Le Commissaire européen à la Concurrence, Monsieur Karel Van Miert, avait d’ailleurs rappelé à la F.I.F.A., sur ce point, qu’il « n’est pas question que les sports professionnels puissent contourner les dispositions du Traité, ou tenter de contourner les lois européennes. » (affaire Bosman).

Le principe posé par l’affaire « Bosman » a même été étendu par les juridictions française puisque l’arrêt « Malaja », rendu le 30 septembre 2002 par le Conseil d’État, a rappelé que le particularisme sportif ne légitime pas l’atteinte portée à la libre circulation des travailleurs, que cela soit au sein de l’Union ou bien entre un pays membre et un pays tiers liés par une convention.

Il semble difficile, dans ces conditions, que le règlement de la LFP passe l’obstacle des dispositions communautaires, tant l’atteinte qu’il leur porte est importante.

Différents recours s’offrent désormais aux clubs de football français et à celui de Monaco. En principe, en vertu de l’article L141-4 du Code du sport, toute procédure est soumise à la conciliation devant le CNOSF avant d’envisager une action devant le juge administratif. Toutefois, dans la mesure où il s’agit de contester un acte réglementaire, le Conseil d’Etat est compétent en 1er et dernier ressort sans saisine préalable du CNOSF.

Cabinet de Maître David ANTOINE – Avocat à Nice